mardi 5 août 2008

Newton, Leibniz et la relativité (et aussi Einstein, mais pas vraiment)

L'image que j'ai de la présentation de la relativité que j'ai reçu, je ne sais d'où journaux de vulgarisation probablement, est la suivante. Newton était idiot, il supposait un repère absolu, il y a un point dans l'univers dont les coordonnées sont (0,0,0). Le génie d'Einstein a été de révéler au monde que les positions étaient relatives; il n'y a pas de repère favori.
Loin de moi l'idée de nier le génie d'Einstein. Mais je veux parler de la notion de relativité, ou plus précisément la notion d'espace. Einstein n'a pas inventé la notion d'invariance selon le référentiel et la notion d'un repère absolu n'est pas le résultat d'un choix naïf de la part de Newton, mais d'une réflexion.

Nous allons ici parler de la notion d'espace. Et plus particulièrement de la bataille qui fait rage entre deux écoles de pensées. D'un côté les absolutistes, menés par Newton, qui affirment que l'espace est une sorte de substance dans l'univers qui possède un référentiel absolu. D'un autre côté, nous avons les relativistes, menés Leibniz, affirment qu'il n'y a rien de tel qu'une substance 'espace' et que l'on doit comprendre la physique en tant de loi sur des distances relatives entre deux objets. Notons que les versions de Newton et de Leibniz sont plus fines que ce que je présente ici, mais pour des raisons de vulgarisation, je vais simplifier. Pour une critique détaillée, rendez vous ici, en anglais.

Donc Leibniz considère que la physique est indépendante du référentiel. En effet, la physique classique est invariante à une "transformation de Galilée" près. Moins techniquement cela signifie que lâcher une pomme dans une gare à Londres ou à Paris ne change pas les lois de la physique. Ou le fait de lâcher une pomme sur le quai ou dans l'eurotunel n'a pas d'influence non plus. La physique n'est dépendante que de la distance entre le centre de la terre et la pomme. C'est cette distance qui est importante, et non pas le référentiel.
Le fait de vouloir imposer des points d'espace fixe est inutile, cela correspond à fixer un référentiel absolu, alors que considérer l'espace comme une construction mathématique à partir de la notion de distance évite d'introduire ce référentiel. En plus, il est toujours bien d'avoir une ontologie légère, c'est à dire de supposer un minimum d'objets existants dans le monde. Le substantialiste introduit la substance "espace" et le relativiste peut s'en passer.

Qu'en est-il de Newton alors? On l'a déjà dit, mais il affirme qu'il existe un espace absolu, un point dans l'univers qui porte l'adresse (0,0,0). Il n'était pas stupide, alors pourquoi avoir introduit un espace-substance et un référentiel absolu? Son argumentaire repose sur ce qui s'appelle l'expérience du seau. Imaginez faire tourner de l'eau dans un seau (ça marche aussi avec du thé ou du café dans une tasse). La surface va se courber, le liquide est plus élevé dans les bords qu'au milieu. Mais si l'on se met dans le référentiel qui tourne avec le liquide, la vitesse des molécules d'eau est nulle, leur distance invariante. Comme dans le cas statique. Si l'on considère le fait la physique se formule uniquement en termes de distances entre les particules, un problème se pose: il n'y a pas d'explication pour la forme particulière de la surface de l'eau. En termes plus techniques, les loi de la physique classiques ne sont pas invariantes par une transformation d'accélération, la physique n'est pas la même dans le train qui tourne que sur la gare (qui n'a jamais joué à pousser son petit frère contre la porte de la voiture lorsqu'elle tourne?).
Le raisonnement de Newton est ensuite le suivant. Il doit exister des systèmes sur lesquels aucune force n'est exercée. Un repos absolu. Mais pour que celui-ci soit défini, il faut une vitesse absolue et donc un espace absolu. On est bien loin de la naïveté...

Avant d'aller plus loin, il faut noter qu'il existe une autre école de pensée dans notre petite guerre, le substantialisme. En fait, l'absolutisme est une variante du substantialisme. Les absolutistes considèrent que la substance espace est absolue. Le substantialiste en général n'a pas besoin de cette hypothèse. En deux mots, faire le choix d'être substantialiste en évitant d'être absolutiste répond au soucis du repère privilégier. On garde un espace-substance, mais l'idée de référentiel absolu est écartée.

Et la relativité d'Einstein dans tout ça? La relativité restreinte (celle de 1905) ne change rien du tout au problème. Ce qu'Einstein y fait est de montrer que les référentiels sont indépendant non pas à une transformation de Galilée près mais une transformation de Lorenz (et, par la même occasion de permettre à Minkowski d'introduire le concept d'espace-temps). Ce n'est qu'avec la relativité général que les choses changent, mais j'anticipe, tout ceci sera pour un autre billet...

PS. Pour les référence, la "Stanford Encyclopedia of Philosophy" est toujours bonne. Le livre de L. Sklar, Philosophy of Physics, aborde également ce sujet (et donne des références plus avancées).

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